Depuis le début du XXIe
siècle, de nouveaux jeux et enjeux stratégiques, à l’échelle internationale,
semblent de plus en plus brouiller les frontières entre le monde diplomatique,
le monde médiatique et le monde du renseignement: attentats contre le World
Trade Center et le Pentagone, révélations de Wikileaks ou celles d’Edward
Snowden sur le système Prism et les écoutes des institutions européennes et de
certaines ambassades, affaire Pegasus, montée en puissance d’acteurs non
étatiques, plus mobiles et plus insaisissables, guerre de la Russie contre
l’Ukraine, bouleversements biopolitiques dans des domaines stratégiques aussi
variés que l’eau, l’énergie et l’agriculture, course aux armements sophistiqués
ou encore ruée économique démesurée de l’Occident vers l’Afrique.
Aucun des ensembles
géopolitiques des cinq continents n’est libéré de cette situation d’incertitude
qui se profile à l’horizon de la planète et qui s’avère, corrélativement,
compliquée à cerner dans les années à venir.
Ainsi, de nouvelles thématiques viennent agrandir le périmètre des relations
internationales et du droit international, à travers de récents paradigmes :
fin et profond ajustement des moyens et formes de diplomatie, plein essor des
techniques médiatiques et communicationnelles, développement tentaculaire et
protéiforme des défis sécuritaires, vague de révolutions scientifiques,
technologiques et industrielles en pleine gestation.
Quant aux relations entre diplomates, journalistes et agents de renseignement,
celles-ci ont tellement évolué que la plupart des pays n’ont pas, profondément,
réfléchi aux règles et à l’approche idoines à retenir, pour réussir une
parfaite harmonie entre ces différents métiers.
Au moment où les diplomates constituent des sources d’information,
particulièrement prisées des journalistes, ces derniers voient leur rôle
évoluer, passant du recueil d’informations et de la collecte d’informations
éparses au traitement de l’information ; et parfois même, des gouvernements
sont informés par les médias avant même de l’être par leurs services de
renseignement extérieur ou leurs ambassades.
Dans une autre mesure, les journalistes et les diplomates deviennent,
indéniablement, des acteurs paraétatiques du renseignement, où des puissances
émergentes se voient attribuer de nouvelles attributions et responsabilités au
niveau de l’échiquier du renseignement international, à un moment où les liens
entre les Etats n’ont jamais été aussi étroits qu’aujourd’hui et où les
destinées de l’humanité n’ont jamais été aussi sensiblement liées que
maintenant.
Cela n’insinue pas que le renseignement extérieur aurait tendance à,
graduellement, disparaître pour céder la place aux diplomaties parallèles et au
journalisme d’investigation ou d’enquête, mais devrait plutôt, à travers ses
modes d’action spécifiques, élargir la palette d’une manœuvre stratégique
d’ensemble, n’utilisant quasiment que des sources d’information ouvertes.
Ainsi et dans le cadre de l’analyse et de l’approfondissement des données,
diplomates, journalistes et agents de renseignement auraient tout le mérite de
collaborer, plus que jamais, loin du moindre esprit de concurrence ou de
méfiance.
L’affaire Pegasus serait une belle leçon à retenir, car finalement, la marée
purulente, initialement, destinée à engloutir, à tort, quelques Etats, s’est
rapidement versée à l’ensemble des continents, tentant de discréditer ou de
blâmer aussi bien journalistes, diplomates qu’agents de renseignement.
Diplomates, journalistes et
agents de renseignement : Des métiers différents, mais complémentaires
Chacun dans son univers est, constamment, en quête de son indépendance,
provoquant, parfois, des frictions, de part et d’autre.
A une ère où les diplomaties prennent de nouvelles formes, où le renseignement
extérieur se retrouve obligé de se plier à de nouvelles contraintes juridiques
et pratiques déontologiques, à portée internationale ou extraterritoriale, et
où les médias et le journalisme évoluent vers le numérique, la cohabitation
entre ces différentes sphères de compétence s’avère encore plus cruciale que
jamais.
Des fonctions qui semblent parfois s’accommoder à une même catégorie de métiers
: des diplomates et des journalistes que l’on qualifiait, à tort ou à raison,
d’agents de renseignement qui s’approprient les qualités de diplomates ou de
journalistes.
Pourtant le diplomate, l’agent de renseignement et le journaliste exercent,
chacun à son niveau, un noble métier, mais à condition que celui-ci le soit,
selon les règles de l’art «contemporain», pour ainsi dire en toute éthique.
Chacune de ces professions est, en principe, toujours plus ou moins dépendante
de ce qui se passe dans les deux autres champs. Cette causalité, même
lorsqu’elle est forte ou croissante, n’est pas en elle-même, forcément, le
signe d’une porosité ou d’un crépitement des frontières sectorielles.
Beaucoup de points communs et de centres d’intérêt allient les mondes de la
diplomatie, des médias et du renseignement extérieur, à savoir, principalement,
la recherche d’informations fiables, rares et stratégiques.
Pour cela, une coordination entre ces milieux semble vitale, à maints égards,
pour l’atteinte des objectifs stratégiques et suprêmes de toute Nation et dans
l’idéal, du monde entier.
Services de renseignement
extérieur et médias : Des acteurs inéluctables de politique étrangère
Ordinairement, les départements ministériels chargés des affaires étrangères
sont tenus de mener des analyses stratégiques, quand les services de
renseignement extérieur s’attellent à recueillir les renseignements à intégrer
dans ces analyses.
Et parallèlement, les médias, en alimentant, de leur mieux, une opinion
publique nationale, de plus en plus sensibilisée à ce qui se passe en dehors de
leurs frontières, éviteraient l’avènement de tout conflit interne ou la
survenance de toute forme de tensions, à portée régionale ou mondiale.
Une manière de faire qui ne semble plus s’accommoder avec les nouvelles
pratiques aussi bien des politiques étrangères, des services de renseignement
extérieur, que des médias.
Dans un monde en plein chamboulement, l’important pour tout Etat ce n’est plus,
uniquement, de réussir à installer un climat de paix, de sécurité et de
coordination nationales, mais surtout de véhiculer des messages positifs à
l’international, grâce, notamment, aux journalistes, aux diplomates et aux
agents de renseignement extérieur, pour la promotion d’un environnement mondial
de paix et de cohabitation entre différents pays, voisins, continents, régions,
nationalités et religions.
Dans une autre perspective, ces professionnels, en postes à l’étranger, en tant
que représentants de leur pays, se doivent d’être aujourd’hui et plus que
jamais, irréprochables, à tous points de vue, de telle manière à être de dignes
modèles, des «produits finis» non pas exclusivement de leurs peuples, mais
aussi à se conformer aux règles éthiques de leurs métiers, telles
qu’internationalement admises.
Yassir Lahrach
Docteur en
droit/Expert en intelligence économique
Analyste en stratégie
internationale/Auteur du concept d’intelligence diplomatique
Source : aujourdhui.ma